LES SPITS DE DARWIN
Le 1st Fighter Wing de la RAAF repousse les assauts de l'aviation japonaise sur le nord de l'Australie.
Avec Pearl Harbor, l'attaque aérienne japonaise contre Darwin apparaît comme l'action qui mit le plus à mal les Alliés au cours de la première phase de la campagne du Pacifique. Le 19 février 1942, une flotte nippone composée de quatre porte-avions appartenant aux I re et 2e divisions, de deux cuirassés, cinq croiseurs et d'une vingtaine de navires d'escorte pénétra,
sous le couvert de l'obscurité, dans la mer d'Arafura.
Au petit matin, alors que les côtes nord de l'Australie étaient à peine distantes de deux cents kilomètres, vingt-sept Nakajima B5N2 « Kate » de bombardement, vingt-sept Aichi D3A « Val » d'attaque en piqué et trois formations de neuf Mitsubishi A6M « Zero » quittèrent leurs ponts d'envol et mirent le cap sur Darwin. Cette force aérienne
devait neutraliser le grand port pendant que les Japonais s'attaqueraient au dernier obstacle de taille qui les séparait du continent australien : l'île de Timor.

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une vue dramatique du port de Darwin dans la fumée des explosions après l'attaque japonaise du 19 février 1942.
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Une défense surprise et débordée
Si l'avance rapide des troupes japonaises dans l'archipel malais avait inquiété, à juste titre, les états-majors alliés chargés de la défense de l'Australie, rien ou presque rien n'avait été tenté pour protéger les ports du littoral nord de l'Australie contre des incursions aériennes.
Darwin, en particulier, centre important de trafic maritime, ne possédait pratiquement aucun moyen de résister à une attaque massive d'avions nippons. Les avertissements n'avaient pourtant pas manqué, et les fréquentes apparitions des appareils de reconnaissance ennemis montraient qu'une opération d'envergure était imminente.
Le 19 février, des observateurs postés dans l'île de Bathurst, juste au nord de Darwin, signalèrent la présence de nombreux appareils volant vers le sud. Par une incroyable incurie, les responsables de la défense aérienne ne prirent même pas la peine de vérifier la nationalité de ces avions et conclurent qu'il s'agissait d'une patrouille de P-40 Warhawk.
Ce matin-là, il y avait effectivement une formation de cinq P-40 en l'air. Elle se heurta à l'armada aérienne japonaise. Mais la disproportion des forces était telle que, rapidement, trois chasseurs alliés allèrent s'abîmer dans les flots. Les autres durent décrocher. Quelques instants plus tard, les bombardiers nippons se présentèrent au-dessus de Darwin.
Les Zero attaquèrent les navires en mouvement à la mitrailleuse tandis que les Kate lâchaient leurs bombes sur les bateaux immobilisés.
En plus de sa faiblesse seulement seize canons de 3.7 in. et deux autres de 3 in, la défense antiaérienne manquait de canonniers expérimentés. Aussi la plupart des obus tirés ce jour-là manquèrent-ils leur but. Pendant ce temps, les Kate se reformaient et les Val, appuyés par les Zero, s'en prenaient aux navires isolés.
Le SS Meigs, bateau le plus important mouillé dans le port, attira particulièrement l'attention des pilotes ennemis. Touché par plusieurs projectiles, il finit par prendre feu. Le British Motorist, pétrolier britannique de 6 900 t, succomba à son tour et coula, tout comme le navire marchand SS Zealandia.
En dépit des efforts que son commandant déploya pour le soustraire aux bombes, le USS Peary reçut trois coups directs qui firent jaillir instantanément des flammes. Le travail des sauveteurs se compliqua lorsque le navire-hôpital Marinda disparut dans le tonnerre des explosions.
Mais la fumée très dense qui couvrait alors le port se révéla favorable à la défense et dissimula aux bombardiers adverses un gros hydravion de la Qantas, le Camilla, qui put ainsi échapper à la destruction. Les Catalina de l'US Air Force, mouillés dans le port, eurent beaucoup moins de chance et furent rapidement envoyés par le fond. Les bombes dévastèrent
aussi une grande partie des quais, près desquels se trouvaient de nombreux immeubles, dont celui du télégraphe, et de nombreux débarcadères.
Les seules armes capables de porter des coups aux Japonais étaient cinq chasseurs P-40 qui, au début du raid, refaisaient leur plein d'essence. Mais l'un d'eux n'eut même pas le temps de décoller et explosa avant de prendre l'air; les autres furent abattus avant d'avoir atteint leur plafond opérationnel. Cette série de catastrophes laissa la ville de Darwin sans protection aérienne
lorsque se déclencha la seconde attaque.
Les pertes alliées furent très lourdes, et au moins deux cent cinquante personnes périrent lors de l'attaque, sans compter d'énormes dégâts matériels. Par suite de la confusion qui régnait à cette époque, aucun chiffre précis n'a jamais pu être fourni. Les Alliés revendiquèrent cinq victoires, alors que les Japonais avouaient
eux-mêmes la perte de quinze appareils.

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les mécaniciens du Squadron 54 s'activent le pilote étant déjà à son poste sur un Spitfire V habilement camouflé en bordure du terrain de Darwin, en juin 1943.
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Création du 1st Fighter Wing
La situation qui existait à Darwin en février 1942 exigeait une sérieuse reprise en main. Une commission d'enquête rapidement mise sur pied découvrit de nombreux manquements dans le commandement et l'administration et stigmatisa le niveau d'entraînement lamentable de la défense. Le système défensif subit alors de profondes modifications et fut renforcé dans
la mesure des moyens disponibles à l'époque.
Un radar d'alerte, qui avait été construit avant février 1942, mais ne fonctionnait pas au moment de l'incursion japonaise, fut rendu opérationnel en peu de temps. La défense de la ville fut coordonnée entre les différentes autorités et le général Sir Edmond Herring, mandé d'urgence du Moyen-Orient, en prit la tête.
Un poste de commandement Air fut mis en place près du quartier général du district, situé à vingt-neuf kilomètres au sud de Darwin. Une unité de spécialistes appartenant à l'US Army Air Force entreprit de construire de nouvelles pistes d'envol pendant que les squadrons affectés à la défense aérienne recevaient des P-40 en nombre accru.
Une station radio fut installée au nord-est de la ville et un navire de la marine australienne assura des patrouilles le long des côtes septentrionales du continent.
Les raids aériens japonais se poursuivirent lors des mois de mars et d'avril, exécutés par des unités basées à terre, à Timor en particulier. Ils n'obtinrent pas de résultats décisifs malgré le succès de l'attaque du 19 février. Le seul point noir enregistré du côté allié consista en un coup direct sur un réservoir
de pétrole. Grâce à l'édification du nouveau système de protection, les Alliés avaient pu abattre, à la date du 25 avril, dix-sept appareils de bombardement et onze chasseurs.
Ce jour-là fut choisi par les Japonais pour lancer une grande offensive. Vingt-quatre bombardiers nippons, signalés largement à l'avance par l'île de Bathurst, voulaient sans doute rééditer l'offensive du 19 février. Ils furent pris à partie par un nombre deux fois supérieur de P-40 et taillés en pièces. Onze d'entre eux ne rentrèrent pas
à leur base, tandis que les défenseurs ne déploraient aucune perte.
Pour assurer une meilleure couverture de l'Australie, les autorités demandèrent alors au gouvernement britannique l'affectation de squadrons de Spitfire sur les côtes nord du continent. Churchill répondit favorablement à cette demande et trois unités de chasse, les Squadrons 452 et 457 (australiens) et le Squadron 54 de la Royal Air Force, quittèrent la Grande-Bretagne.

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Face aux chasseurs P-40 américains, les Mitsubishi Zero », plus rapides et plus maniables, assurent la suprématie aérienne aux ailes de l'empire du Soleil levant. L'arrivée des Spitfire à Darwin en 1942 renversera la situation.
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Ils furent cependant détournés de leur mission initiale, lors de leur voyage vers l'Australie, pour astisfaire les besoins désespérés en matériel de la Royal Air Force au Moyen-Orient. Un autre convoi fut alors formé et, au mois de janvier 1943, cent Spitfire Mk-V avaient atteint le Pacifique. Ils constituèrent le 1st Fighter Wing de la Royal Australian Air Force, lui-même
composé de trois squadrons de seize appareils chacun, avec une capacité mensuelle de remplacement de cinq avions.
Le Wing Commander C.R. Caldwell fut nommé à la tête du1st Fighter Group dont les squadrons furent répartis à Darwin (54), Strauss (452) et Livingstone (457). Après une première victoire, obtenue, le 6 février 1943, par le lieutenant Foster, du Squadron 54, la rencontre majeure des Spitfire avec les Japonais eut lieu le 2 mars suivant.
Sur les seize appareils ennemis qui, à cette date, attaquaient l'aérodrome de Coomalie, trois Val, deux Zero et un Kate furent abattus. Un autre combat, plus rude, se déroula le 15 mars, lorsque les Spitfire interceptèrent des avions nippons sur Darwin même. Sept d'entre eux furent perdus contre quatre chasseurs alliés.
Mais les moteurs Merlin des Spitfire, soumis à un régime éprouvant, donnaient d'inquiétants signes d'usure. Il en résulta une réduction des performances des avions. Les défaillances de moteur devinrent alors de plus en plus fréquentes. Les plus nombreuses survinrent lors d'une incursion japonaise effectuée le dimanche 2 mai 1943. Dix-huit bombardiers escortés
par vingt-sept Zero se présentèrent au-dessus de Darwin. Leur présence fut signalée par le radar de l'île de Bathurst longtemps à l'avance.
En cinq minutes, les pilotes alliés avaient gagné leurs appareils et, quinze minutes plus tard, ils se portaient à la rencontre de l'ennemi. En dépit de cette rapidité, les Japonais bénéficièrent de l'avantage de l'altitude et arrivèrent avec le soleil dans le dos. Les Spitfire durent attendre que les bombardiers aient largué leurs bombes et fait demi-tour.
La défense antiaérienne avait pour le moins manqué d'efficacité, car, sur les deux cents obus qu'elle avait tirés, aucun n'avait atteint son but.
De leur côté, les Japonais firent preuve de peu de précision dans leurs bombardements, même s'ils parvinrent par hasard à couper une partie des circuits téléphoniques et électriques de la ville. Au lieu de reprendre alors le chemin par lequel ils étaient venus, les assaillants n'obliquèrent que de 90° et survolèrent sur cinquante kilomètres
le continent australien. Ils atteignirent la mer au-dessus de Fog Bay. Là, les Spitfire les attendaient.

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L'intérieur dévasté d'un hangar du Squadron 13 après un raid japonais sur Darwin le 25 juin 1942. A cette date, le nord de l'Australie n'était défendu que par les Curtiss P-40 Warhawk de l'USAAF.
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Une violente bataille s'engagea, au cours de laquelle les Alliés perdirent cinq avions. Mais huit autres furent obligés de faire des atterrissages forcés, trois à la suite de pannes de moteur et les autres parce qu'ils se trouvaient à court de carburant. Les pilotes de chasse nippons s'étaient bien comportés et avaient accompli leur travail de protection avec une remarquable
efficacité; seul un bombardier japonais avait été abattu par les défenseurs.
Cette dernière attaque japonaise marqua le signal d'une contre-attaque alliée d'envergure. Le soir même du 2 mai, les Bristol « Beaufighter » du Squadron 31 de la Royal Australian Air Force détruisirent de nombreux Zero sur leur base de Koepang, à Timor. Au cours de la nuit, quelques B-25 Mitchell du Squadron 18 (néerlandais) achevèrent le travail commencé
par les Australiens.
Fin 1943, les Japonais organisèrent des raids de nuit puis les abandonnèrent progressivement. Au cours de l'année 1944, l'aviation de l'empire du Soleil levant se hasarda de moins en moins souvent au-dessus de la mer de Timor. Les troupes rassemblées en vue d'une hypothétique invasion de l'Australie furent dispersées, et les rêves d'hégémonie des Japonais sur
l'ensemble de l'océan Pacifique s'évanouirent définitivement.